Bonjour à toute l’équipe d’ASOBO, ceci est un message de félicitation et de remerciement d’un joueur qui a adoré votre Plague Tale. Mon avis n’importe peut-être pas plus qu’un autre, mais j’ai tout de même décidé de prendre le temps de réfléchir et de vous écrire un texte un peu développé, que j’espère utile et pas trop ennuyeux. Je m’imaginais que ma petite missive pouvait être lu par vous pendant une pause café, et vous faire du bien. Je ne travaille pas dans le jeu vidéo, et suis un joueur trentenaire intéressé par le jeu, sans être hardcore gamer. Mes jeux de références sont GTA, RDR, Max Payne, Deus Ex, Braid, Inside, Firewatch, des jeux bien variés, donc… Je suis technicien de cinéma, et j’écris aussi des scénarios, et discute de projets avec des amis. J’ai aussi travaillé au développement d’une application Iphone aujourd’hui commercialisée, et j’ai donc expérimenté toutes les étapes de ce processus, et aussi le doute qu’on peut avoir en l’absence de précieux retours d’utilisateurs. J’ai donc décidé qu’à partir de maintenant, si une application me plaisait vraiment beaucoup, je le dirais aux développeurs !

S’il ne doit rester qu’une phrase de ma bafouille, la voici : félicitation à vous tous, un jeu est un travail collectif, et je crois qu’avec les moyens dont vous disposiez, vous avez tous accompli un travail remarquable ! Le principal écueil de la plupart des fictions sur les périodes passées est de décalquer nos codes actuels sur l’époque. Ça n’est pas le cas de PT, on est vraiment avec des personnages qui vivent, pensent et rêvent dans un imaginaire de moyen-âge. Et on n’est pas dans un pays fantasmé, mais dans un lieu, l’Aquitaine, et une époque précise, le milieu du 14ème siècle. Le déroulement de l’histoire est vraiment inattendu : jamais je ne me serais douté au début de cette aventure, que les rats auraient une telle importance, qu’on perdrait Hugo, que la menace du jeu deviendrait un atout (idée vraiment brillante !), et que le jeu se terminerait en apothéose de type « Akira au moyen-âge ».
Tous les personnages sont attachant, notamment Hugo, et cela vient d’une alchimie d’écriture, de narration et de jeu de comédien qui s’assemblent avec brio. On sent pendant toute l’aventure qu’un enfant a vécu toute sa vie dans sa chambre, la frustration d’Amicia envers sa mère, la haine de classe des deux brigands envers ces nobles déclassés. La musique aussi est formidable, parfaitement dosée entre baroque et musique d’ambiance d’horreur. Les graphismes sont magnifiques, techniquement solide, et tellement beaux par moment, que ce soit l’architecture des bâtiments ou la richesse de la flore, j’ai eu l’impression de sentir l’humidité des sous-bois, le froid de la nuit, la chaleur d’un foyer, et cet instant incroyable où l’on voit au loin toute une ville fuir la peste à la lueur des torches.
Le gameplay est simple, ce qui est une grande qualité. En tant qu’adulte salarié, je ne veux pas passer des heures et des heures à comprendre le fonctionnement d’un jeu, ni devoir « farmer » un millier de merdes pour faire avancer l’histoire. Les quêtes secondaires doivent conserver une importance relative, et j’apprécie suivre une narration qui évolue sans cesse, et que celle-ci soit sans cesse cohérente avec le gameplay du jeu. Vous avez réussi à cocher toutes les cases d’un bon jeu, bravo. J’y ai perçu des références subtiles à l’œuvre au noir de Yourcenar, mais j’ai peut-être rêvé.

Alors, j’y ai rencontré 2/3 bugs, rien de vraiment grave, juste qui sort un peu de l’immersion. Je n’ai connu qu’un seul vrai bug, dans le chapitre Le chemin qui nous attend, lorsqu’on rejoint l’aqueduc juste avant le lac souterrain, Mélie est restée coincée à la porte, attendant je ne sais quoi. En rechargeant le point de sauvegarde, tout ce beau monde est magiquement apparu dans la grotte, et j’ai pu continuer mon aventure. J’ai aussi été quelques fois agacé par le pathfinding un peu moyen de certains personnages, surtout ce gros balourd de Rodric vers les derniers chapitres, je pense que trois personnages ensemble, c’est trop. Ce qui m’est arrivé aussi, c’est qu’après avoir été découvert, je me suis mis à courir comme un abruti à travers champs, tentant d’échapper aux gardes, un peu comme dans Hitman, lorsque la situation devient désespéré et qu’on tente le tout pour le tout. Je me fais donc trucider sans ménagement, mais je réapparais au niveau suivant, car je pense que j’ai dépassé une ligne imaginaire qui me change d’étape. C’est bien dommage, je crois qu’on ne devrait pas pouvoir valider un checkpoint en étant recherché. Tant que j’y suis, il y a un pic de difficulté assez étrange, le passage le plus dur étant pour moi le combat contre le forgeron débile dans le village confiné, vers le début du jeu.
Les deux seules légères fautes de goût concernent pour moi le traitement de deux personnages. Vitalis tout d’abord, qui me fait vraiment trop penser à l’empereur Palpatine. Qu’est-ce qui provoque de l’empathie pour lui ? Qu’y a-t-il de beau en lui ? Les beaux méchants font les belles histoires, et ce Vitalis me paraît assez insipide, juste très très méchant. Et puis, il y a Mélie, qui n’évolue pas beaucoup, et dont l’accent me paraît être celui d’un titi parigot, anachronique, donc. Tous ces détails ne sont pas bien graves…

Le seul vrai bémol du jeu est pour moi l’arbre de compétence. En un mot, un arbre de compétence n’avait rien à faire dans PT. J’ai vraiment eu l’impression qu’il était là parce que en 2019, un TPS linéaire avec un arbre de compétence, « c’est comme ça qu’on fait ». Pour une équipe qui a une telle originalité et un tel goût artistique, je trouve cela regrettable. Un arbre de compétence a une fonction : permettre au joueur de choisir des éléments de gameplay, et donc offrir différentes manières de jouer. Cela a toute sa place, et fonctionne bien dans un Immersive Sim comme Deus Ex, ça n’a rien à faire ici. Franchement, sans m’y être attardé, j’ai bien vu qu’à un type de ressource correspondait une munition, un type d’upgrade, et donc c’est évident que le joueur n’est libre de presque rien. J’ai voulu obtenir la compétence pour me passer d’établi, mais il y en a partout en fait. Et la fonction de se passer d’outils est absurde, avec tous les outils que j’ai récupéré, j’ai rempli l’arbre de compétence. Un arbre de compétence doit être un choix posé au joueur, de décider en partie de son gameplay, et ainsi pouvoir refaire l’aventure d’une autre manière. Un arbre de compétence impliquant un choix est une idée ambitieuse de gameplay, un arbre qui peut se remplir complètement est un cache-misère. J’étais dès le début pressé d’avoir la capacité de viser sans faire de bruit, et évidemment c’est très utile, mais en fait… Bien dommage, puisque ça enlève une subtilité de gameplay : lorsqu’on vise, on peut être détecté, c’est bien plus intéressant avec que sans. Pour finir, attention aussi à ne pas mettre dans les éléments de décor des objets à récupérer, des cordelettes par exemple… Je ne vous dis pas tout cela pour le plaisir de critiquer, mais pour vous encourager à ne pas céder à des modes de gameplay qui n’ont rien à voir avec le cœur de votre jeu. Mais les critiques n’ont d’intérêt que si elles sont mêlées à des propositions.

Je crois qu’à la place d’un arbre de compétence, on aurait du obtenir pas à pas ces compétences qui seraient venu compléter et complexifier le gameplay. Et s’il on voulait offrir différentes manières de jouer, on pouvait utiliser les personnages secondaires. Imaginons qu’après les premières heures de jeu, on se retrouve dans la forteresse cachée en compagnie de 5 personnages secondaires, qui servirait de HUB central. Plusieurs lieux nous seraient accessibles petit à petit : un camp de soldats anglais, une ville, un moulin au milieu de champs, un village, un monastère etc… Et qu’en fonction des personnages que l’on choisit pour faire une mission, le chemin change : l’un utilise les rats, l’autre crochète les portes, ou passe par les toits etc… Et des objets à récupérer nous permettent d’obtenir de nouvelles compétences pour ces personnages, des recettes pour Lucas, une dague pour Rodric, un arc pour Arthur, un grappin pour Mélie… Mais aussi pour Amicia, toujours pour enrichir le gameplay, pas l’appauvrir. Un lance-pierre pourrait compléter notre arsenal, moins puissant que la fronde, mais silencieux. On pourrait décider ou non d’enlever ses chaussures, pour être plus silencieux, mais attention où on met les pieds, Amicia hurle si on marche sur un bout de verre. Récupérer des vêtements pour se déguiser pourrait aussi enrichir l’aventure, une cape de moine par exemple. Tous ces éléments mis bout à bout auraient vraiment donné cette sensation de progression des personnages, associé à une évolution du gameplay. Et puis on aurait eu le plaisir de retrouver les mêmes lieux, mais d’une autre manière, découvrir enfin de nouvelles zones, permettre de nouvelles entrées pour ne pas avoir à tout refaire depuis le début de zone, etc… Et offrir d’éventuelles quêtes secondaires, une évolution des décors, des bâtiments entre-temps construits, ou détruits, des soldats quittant leur position, etc… Et ça aurait été sans doute une forme d’économie de travail de revenir en partie dans les mêmes décors, plutôt que de devoir tout concevoir à chaque fois, tout en offrant une impression de grandeur au joueur. Je crois qu’une meilleure IA des ennemis amènerait aussi plus d’intérêt au jeu, qu’ils se protègent le visage, ou se cachent. L’utilisation de deux personnages en simultané est très sous-exploitée… On devrait pouvoir le faire avec tous les personnages, et plus souvent se séparer, pour se retrouver. Les angles de caméra pourraient être alors beaucoup plus variés : En plongée depuis les toits, très large dans des champs, à travers le trou d’une serrure…

Voilà voilà, j’espère que personne ne sera peiné par les critiques que je fais, elles ne doivent pas faire oublier l’immense qualité de votre jeu, sinon je n’aurais jamais pris la peine de vous écrire ces lignes. J’espère que mon petit texte vous aura été utile. Encore un immense bravo et merci à tous, j’attends avec impatience votre prochain projet (A Plague Tale II : Resilience ☺ ). Je ne sais pas comment vous fonctionnez, mais si d’aventure vous désiriez avoir mon avis sur un projet à venir et que j’ai le temps, je serai heureux de vous consacrer mon énergie. Sans que cela ne remette en cause mon achat de votre futur jeu. Ce que vous faites demande beaucoup de travail, et tout travail mérite salaire. Et j’espère pour vous qu’arrivera bientôt le jour où vous serez intermittents du spectacle, payés à votre juste mérite.

Je vous souhaite courage, force et détermination !
Et vous fais plein de bisous…

Benjamin Chaudagne